Qui est Billy Budd ?
Parabole sur le bien et le mal, le désir et son refoulement, Billy Budd fait partie des chefs-d'oeuvre de Benjamin Britten et de l'opéra du XXe siècle.
La nouvelle de Melville met en scène un jeune et beau marin, Billy Budd, sorte d’ange qui exerce une fascination sur tous les autres personnages, et que le maître d’armes Claggart prend en haine, à cause, justement, de sa beauté et de sa bonté, au point de l’accuser de fomenter une mutinerie. Billy, que ses compagnons d’équipage appellent « bébé », finit par tuer accidentellement Claggart et est condamné à être exécuté, sous le regard indécis de Vere, le capitaine du bateau, qui est pourtant convaincu de l’innocence du jeune homme. A n’en pas douter, c’est d’abord la dimension homosexuelle du récit qui fascina aussi bien Forster que Britten, tous deux homosexuels ainsi que leurs amis Auden et Isherwood. Car dans le texte de Melville, si Claggart voue une telle haine à Billy, c’est bien sûr parce qu’il se sent irrésistiblement attiré par sa beauté. Quant à l’intellectuel Vere, s’il éprouve des passions moins violentes, il rêve de Billy « nu (…) comme posant pour une statue de jeune Adam ».
Forster, Britten et Crozier reprirent donc cette dimension et la mirent en avant aussi loin qu’il était possible de le faire à l’époque. Mais pour d’évidentes raisons de censure et parce qu’ils ne souhaitaient pas que leur œuvre soit réduite à un seul niveau d’interprétation, ils l’inscrivirent dans la parabole philosophique et morale que Melville mettait déjà en scène et qui faisait écho aux préoccupations du compositeur, puisqu’elle nourrit toute son œuvre, depuis Peter Grimes jusqu’à Mort à Venise : celle de l’innocence aux prises avec un environnement hostile, des forces du Bien corrompues par celles du Mal (avec l’idée toute platonicienne que le Beau ne peut être que du côté du Bon, qu’un beau corps ne peut refléter qu’une belle âme). Ainsi le vaisseau sur lequel se déroule l’histoire devient-il un microcosme de la société où les puissances antagonistes s’affrontent. Et le parcours de Billy, qui est pris de bégaiement lorsqu’il se sent accusé et ne peut donc plus se défendre, s’apparente même à celui du Christ, qui prend sur lui les fautes de l’humanité et accepte son exécution pour sauver le monde et les hommes.
Sur le plan musical, Billy Budd fait appel à un des plus grands effectifs orchestraux jamais utilisé par Benjamin Britten, si l’on excepte le War Requiem. Compte tenu du sujet, elle a la particularité de ne recourir qu’à des voix masculines, ce qui pourrait engendrer une certaine monotonie, si Britten, grâce à une écriture infiniment sensible et subtile, ne savait modifier les ambiances et les sentiments. La vie sur le bateau et l’atmosphère de claustrophobie qui y règne, en particulier, sont magnifiquement rendues. Mais Britten, dont l’écriture si personnelle est nourrie de références à Purcell, au folklore anglais, aussi bien qu’à Verdi ou Debussy, sait trouver la solution musicale qui s’adapte à chaque situation. A cet égard, l’air de « Billy aux fers », juste avant son exécution, incroyablement juste et simple, est un des moments les plus émouvants de la partition.